Quelques pistes exploratoires sur la relation entre émotions et design : Agnès Levitte

Par la lecture critique de quatre articles sur « design et émotions » je détermine les questions principales sur le sujet et les concepts à définir. J’applique ensuite les trois types d’émotions décrites par les psychologues et les philosophes à ce que peut ressentir un utilisateur face à un objet quotidien. Puis je décris, en m’appuyant sur les récentes recherches en neurosciences, le rôle structurant qu’ont les émotions dans la perception. Les enquêtes empiriques menées en gare ferroviaire me permettent enfin de comparer les hypothèses scientifiques au vécu des usagers de l’espace public.

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Dans le cadre d’un doctorat sur la perception des objets quotidiens, je m’interroge sur le regard porté par l’utilisateur sur l’espace public, et je cherche à comprendre et identifier ce qui est effectivement vu / compris par tous types de personnes. Je me pose parallèlement la question de l’outil qui pourrait permettre de savoir, avec autant de précision que possible, ce qui est perçu. Mes recherches précédentes sur ces sujets m’ont permis de recenser les auteurs qui ont travaillé sur des outils d’enquête méthodologique, et de comprendre l’importance de la séquence perception – attention – mémorisation pour qu’un observateur accède, dans le temps, à retenir ce qu’il voi. Pourtant de nombreuses ambiguïtés persistent comme, par exemple : pourquoi voyons-nous certains objets de notre environnement à un moment donné et ignorons-nous les autres ? L’une des réponses à cette question se trouve intuitivement dans le rôle que jouent les émotions. En m’appuyant sur les recherches en cours menées par les Sciences Cognitives et les Neurosciences, j’explore ensuite quelques réponses notamment la compréhension des émotions et leur rôle dans la perception. Dans la troisième partie, je rends compte d’entretiens libres que j’ai menés auprès d’utilisateurs d’espaces publics en gare, et je tente d’appliquer les conclusions précédentes à mes analyses. Ces trois parties me permettent d’ébaucher une réponse à mon double questionnement : quel peut être le rôle des émotions dans la perception d’un objet quotidien et comment savoir, avec le maximum d’objectivité, ce qui est effectivement perçu par l’utilisateur ?

Le rôle du designer est d’apporter des valeurs nouvelles aux produits ou aux lieux de vie. L’utilisateur devrait percevoir et identifier ces valeurs : attraction visuelle, confort d’usage, apprentissage aisé, pour n’en citer que quelques-unes.
Quelles sont les émotions qu’on peut ressentir face à un produit ou à un espace ?
Qu’est-ce qui fait naître ces émotions ?
Quelles fonctions peuvent-elles remplir ?


Les émotions déclenchées par un objet quotidien couvrent un large spectre, du plaisir à la colère, de l’étonnement à la frustration, du bien-être à l’inconfort, et elles peuvent nous guider à reconnaître, comprendre, apprécier, nous méfier et nous alerter, améliorer notre humeur ou être désagréable, entre autres influences. Nous avons également compris que les expressions comme « insuffler une émotion » à un objet ou « objet émotionnel » n’ont pas de sens en soi puisque l’émotion est ressenti par celui que regarde, ce sont des raccourcis sémantiques. Chercheurs en design et concepteurs avons encore beaucoup de travail pour exploiter ces informations et enrichir nos réflexions et nos concepts créatifs. De plus, les émotions peuvent non seulement prolonger notre vision, mais aussi structurer et influer notre perception et notre cognition. La relation design/émotion est ainsi plus riche et plus complexe que ce qui était pressenti.
Deux questions restent en suspens : celle de la situation et de l’engagement de l’individu dans son environnement psychologique, social et culturel. Pourquoi une personne ressentira-t-elle une forte émotion à la vue d’un objet et l’autre aucune ? Pourquoi suis-je émue aujourd’hui et indifférente demain (ou l’inverse) devant le même objet ? Je propose de creuser ces interrogations pour notre prochain Atelier de Recherche en Design. Derrière ces questions sur les émotions se cache une deuxième interrogation : quelle est la nature du plaisir et du déplaisir esthétiques face à un objet ordinaire ou banal, plaisir et déplaisir qui eux aussi sont situés et engagés ? Ce sera la direction de la suite de mon travail

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